- GRANDE-BRETAGNE - L’économie britannique
- GRANDE-BRETAGNE - L’économie britanniqueMembre du Marché commun depuis 1972, la Grande-Bretagne possédait encore, à la fin des années 1970, une économie développée de type industriel avancé, fondée à la fois sur des activités de type traditionnel (charbon, sidérurgie) et sur quelques industries à contenu technologique élevé, avec un secteur privé encore relativement important, et un secteur nationalisé en extension croissante, mais d’une rentabilité faible, dans lequel les gouvernements britanniques successifs avaient abrité les entreprises défectueuses.D’importantes difficultés économiques, dues au refus – ou à une incapacité – de modifier des structures de production dépassées par le progrès technique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, n’avaient pas suscité de politiques économiques capables d’accélérer la croissance et de relever le niveau de vie, l’un des plus bas d’Europe occidentale (4 320 dollars de consommation privée par habitant en 1979 contre une moyenne de 6 708 dollars pour les autres pays occidentaux développés), de combler le déficit budgétaire chronique, de mettre la population active au travail (malgré une longue période de plein emploi théorique de 1948 à 1968), et de redresser un déséquilibre extérieur permanent causé par des prétentions couronnées d’échecs à assumer un rôle financier international.Les réformes économiques radicales mises en œuvre par Margaret Thatcher après 1979 marquent une rupture qui se comprend à la lumière du déclin relatif séculaire de la Grande-Bretagne et du double échec des gouvernements conservateur (la modernisation technocratique d’Edward Heath) et travailliste (Harold Wilson, James Callaghan) des années 1970. Le gouvernement Thatcher a essayé de libérer les capacités de l’économie britannique, de supprimer les contraintes liées à l’État-providence afin de retrouver l’esprit d’entreprise et la prospérité qui caractérisaient la Grande-Bretagne du XIXe siècle. La modernisation néo-libérale du pays suppose que les mécanismes de régulation du marché soient imposés dans le plus de domaines possible. La «Dame de fer» a appliqué sa thérapie libérale de choc pour permettre la renaissance économique du «malade de l’Europe».1. Une conjoncture marquée par des phases très contrastéesLa conjoncture économique britannique est caractérisée par des phases de croissance et de récession plus marquées que celles des autres pays occidentaux, contrastes qui expliquent sans doute la diversité des appréciations sur les performances de l’économie britannique. De 1979 à 1981, la Grande-Bretagne a connu une profonde récession: le P.N.B. a diminué de 3,6 p. 100 (alors que la France et l’Allemagne connaissaient encore une croissance lente), le nombre de chômeurs a augmenté d’un million pour la seule année 1980, l’inflation a dépassé 20 p. 100 et environ un quart du secteur manufacturier a disparu. À cette purge de l’économie britannique a succédé une phase de croissance, de 1981 à 1988, avec une inflation faible et une réduction du chômage, faisant croire à un miracle économique britannique. Non seulement la Grande-Bretagne a connu un taux de croissance supérieur à celui des autres pays européens (3,2 p. 100 par an), mais surtout l’accroissement de la productivité (2,7 p. 100 par an) a été le plus fort de l’O.C.D.E., Japon excepté. À partir de 1988, l’économie britannique a connu d’abord un fort ralentissement et un taux d’inflation élevé, avant de sombrer à nouveau dans une grave récession qui a duré deux ans et demi (P.I.B.: face=F0019 漣 2,2 p. 100 en 1991 et 漣 1 p. 100 en 1992) et dont elle semble sortir depuis le début de l’année 1993.Après le second choc pétrolier, la politique d’ajustement brutal et les réformes structurelles ont provoqué un assainissement de l’économie et une forte augmentation de la productivité, liée notamment à l’élimination des capacités de production les moins compétitives. Pour lutter contre l’inflation, la priorité absolue en 1979, le gouvernement prit des mesures draconiennes, en s’appuyant sur le contrôle strict de la masse monétaire. Ce monétarisme intransigeant devait être rapidement abandonné à cause de l’impossibilité de contrôler et de mesurer l’évolution de la masse monétaire. La reprise fut alors dopée par les revenus tirés du pétrole de la mer du Nord. À partir de 1984-1985, la croissance a été financée par l’endettement des agents économiques privés, ménages et entreprises, dans une période d’euphorie financière. La gestion stricte des finances publiques (suppression du déficit budgétaire et réduction de l’endettement) a contribué à donner l’impression d’une croissance saine. Pourtant, les tensions vont apparaître. Malgré les taux de profit élevés des entreprises, les investissements productifs sont restés faibles alors que la gestion du gouvernement a conduit à une chute de l’investissement public dans tous les domaines. Structurellement, l’économie britannique a accumulé des retards d’investissement public et privé. À l’inverse, les baisses d’impôts et la dérégulation financière, en accentuant le pouvoir d’achat des classes moyennes et supérieures, ont amené un «boom» de la consommation et de l’endettement des ménages; ce dernier a été multiplié par deux entre 1981 et 1986 et se maintient encore aujourd’hui à un niveau très élevé. Or, diminué, faiblement renouvelé, l’appareil britannique n’était pas à même de répondre à cette demande.L’augmentation du déficit budgétaire, la reprise de l’inflation et la nécessité d’un nouvel ajustement, c’est-à-dire une récession, ont soldé les comptes de la politique économique menée par Margaret Thatcher. Le choix de la hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation a entraîné la récession. L’argent disponible lors de la reprise et les revenus tirés du pétrole de la mer du Nord et des privatisations ont servi à financer la consommation des ménages et le boom, largement spéculatif, de l’immobilier. Faute de réponse adéquate de l’appareil de production, les déséquilibres se sont accumulés; le déficit de la balance des opérations courantes, autrefois masqué par la rente pétrolière et les invisibles, atteignait plus de 3 p. 100 du P.I.B., soit plus de six fois celui de la France en 1989, et il s’est maintenu entre 2 et 3 p. 100 du P.I.B. malgré la récession. L’inflation a repris, atteignant 8 p. 100 en chiffres corrigés comparatifs, avant de redescendre sous la barre des 5 p. 100... après deux années de récession. Enfin, le solde budgétaire a connu des fluctuations erratiques. Il s’était retrouvé excédentaire – plus exactement, le besoin de financement des administrations publiques s’était transformé en une capacité de financement de l’ordre de 1 p. 100 du P.I.B. (utilisée pour baisser les impôts et diminuer le poids de la dette) – en 1988 et 1989, en partie grâce au fruit des privatisations. Cet excédent illustrait la maîtrise des dépenses publiques réalisée par le gouvernement conservateur et la diminution du poids de l’État dans l’économie. La situation s’est dégradée depuis lors. Le besoin de financement des administrations publiques (indicateur plus large que le seul déficit budgétaire) a atteint 6,6 p. 100 du P.I.B. en 1992, et devait s’aggraver en 1993. Seules, au sein de l’O.C.D.E., la Grèce, la Finlande et l’Italie connaissent un déficit plus important. Enfin, la vague de faillites pendant la récession et le déclin de la production industrielle (face=F0019 漣 5,5 p. 100 en 1991) ont conduit à une recrudescence du chômage, qui touche plus de trois millions de personnes. Cette récession a mis fin à l’illusion du miracle de la renaissance économique britannique.2. Réformes structurelles et pragmatisme de la politique économiqueQuatre grandes séries de réformes structurelles ont été mises en œuvre, à partir de 1979, afin de précipiter l’insertion de la Grande-Bretagne dans l’économie internationale.La dérégulationLa dérégulation a eu pour objet de supprimer les contrôles sur les flux économiques. Le gouvernement conservateur a rapidement supprimé la politique des revenus et de contrôle des prix et du crédit (1980), et libéralisé les mouvements de capitaux (1979), ce qui a donné un coup de fouet à l’internationalisation de l’économie britannique. La grande réforme de la déréglementation a été popularisée sous le nom du «big bang» de la Bourse de Londres, c’est-à-dire à la fois la déréglementation de l’accès à la Bourse et l’utilisation des nouvelles technologies pour faire de la City le centre financier le plus moderne du monde. Les institutions financières ont vu leur champ d’intervention s’élargir et elles se sont lancées dans une compétition qui s’est traduite par des innovations multiples dans les services au consommateur, le développement du crédit à la consommation et de nombreuses acquisitions à l’étranger. La période 1984-1988 a été celle du boom économique et de la croissance retrouvée, mais aussi de la fuite en avant financière. Le ralentissement économique et la récession, après 1990, ont provoqué de nombreuses faillites sous l’effet desquelles même les piliers – les quatre grandes banques – ont été ébranlés.L’allégement fiscalLa diminution de la fiscalité a été présentée comme un moyen clé pour diminuer le poids de l’État dans l’économie. Surtout, elle devait permettre de supprimer les entraves à l’initiative économique individuelle. La réforme la plus visible a consisté à diminuer le poids de l’impôt sur le revenu. Le taux le plus élevé a été ramené de 83 à 40 p. 100 et le taux de base de 30 à 25 p. 100. Le nombre des tranches a été ramené de onze à deux. Cependant, l’augmentation de la T.V.A. a contrebalancé la diminution de la fiscalité directe et la pression fiscale a finalement peu varié sur l’ensemble de la période. En revanche, le poids des impôts (directs et indirects) a diminué de moitié pour les revenus représentant une fois et demie à deux fois le revenu moyen britannique. Il a marginalement baissé pour les groupes les moins riches. L’autre aspect de la réforme concerne la fiscalité des entreprises. Le Corporate Rate Tax standard a été ramené de 52 à 35 p. 100 et d’autres allégements ont été prévus pour différentes catégories d’entreprises. L’impôt local sur les entreprises a été remplacé par un Uniform Business Rate qui supprime les différences entre régions et villes. Au total, la fiscalité pesant sur les entreprises est, avec celle de l’Irlande, la plus faible d’Europe.Les privatisationsLes privatisations ne constituaient pas une priorité des conservateurs en 1979, alors que le secteur industriel public était le plus important des pays occidentaux et connaissait une crise structurelle. Ce n’est qu’après le succès rencontré par les premières opérations de privatisation que la Grande-Bretagne va lancer un programme sans équivalent, par son ampleur, au sein de l’O.C.D.E. Cela révèle d’ailleurs des dimensions essentielles du thatchérisme: l’expérimentation et le pragmatisme. Dès 1976, la crise financière et le recours aux prêts du Fonds monétaire international ont eu pour effet de constituer une contrainte forte pour le secteur public, notamment pour les entreprises, qui ont dès lors cumulé les désavantages: la dépendance politique à l’égard du gouvernement et de faibles soutiens financiers de la part de leur actionnaire. Seule la sortie du secteur public pouvait permettre d’échapper à ces contraintes. La nomination d’une nouvelle vague de managers venus du secteur privé a contribué à transformer la gestion de ces entreprises, ce qui a préparé les privatisations. Dix ans de crise, de contrainte financière et de nouvelles pratiques de management avaient ainsi préparé la transition.La doctrine des privatisations et leur justification ont donc été élaborées au fur et à mesure des besoins: efficacité des entreprises, diminution du rôle de l’État dans l’économie, nécessité de développer l’actionnariat populaire, diminution du pouvoir de négociation des syndicats. L’ampleur des privatisations se lit dans les chiffres suivants: vingt-neuf grandes entreprises ont été privatisées; la vente de ces entreprises a rapporté l’équivalent de 275 milliards de francs au Trésor britannique (chiffres de 1991); presque la moitié du secteur public de 1979, dont huit cent mille salariés, a été transféré au secteur privé; environ 90 p. 100 des employés de ces entreprises sont devenus actionnaires ; l’effectif des actionnaires est passé de 3 à plus de 20 p. 100 de la population. Les opérations les plus importantes ont concerné British Telecoms, British Gas, les sociétés de distribution d’eau, l’électricité et, pour l’industrie, Britoil, Jaguar, British Steel, Rolls-Royce. Ce programme de privatisation devait être en partie poursuivi par le gouvernement Major dans les secteurs des chemins de fer et des charbonnages.Il est encore tôt pour tirer un bilan définitif de ce programme. Indéniablement, les résultats financiers des entreprises privatisées sont meilleurs qu’ils ne l’étaient avant la privatisation, ce qui n’a pas empêché des échecs, comme dans le cas de Jaguar. Contrairement à d’autres pays, le secteur public, en Grande-Bretagne, n’avait pas pu ou su se moderniser. S’agissant des monopoles, la privatisation n’a pas réglé le problème du contrôle de la puissance publique sur les activités de ces entreprises. Pour faire passer la privatisation de monopoles jusqu’alors considérés comme publics (British Telecoms, British Gas, l’eau et l’électricité), le gouvernement avait décidé d’instaurer des instances de régulation pour chaque secteur (Oftel, Ofwat, Ofgas), dont les pouvoirs avaient été définis de façon relativement vague. Pourtant, au fil des années, ces instances ont acquis un pouvoir de contrôle réel sur ces grandes entreprises, ce qui provoque des conflits. La Grande-Bretagne est en train d’inventer un modèle de régulation du secteur privé avec des formes nouvelles. Au contrôle exercé par la puissance publique étatique se substitue l’action d’organismes qui prennent en compte tout un ensemble de facteurs, notamment en matière de sécurité, de respect de l’environnement, de service ou de prix, et se révèlent, dans certains cas, à la fois plus efficaces et plus stricts que le gouvernement. Quant à la doctrine de l’actionnariat populaire, elle semble être battue en brèche: le double effet de la récession et de la concentration financière a conduit à la baisse du nombre des actionnaires. British Airways, Rolls-Royce ou British Gas ont perdu environ la moitié de leurs actionnaires depuis leur privatisation.L’affaiblissement des syndicatsLes syndicats ont été rendus responsables du retard de l’économie britannique, en particulier de son manque de flexibilité et de compétitivité. Dans le discours politique de la «New Right», les syndicats font figure d’ennemis privilégiés, les «ennemis de l’intérieur», à la fois responsables des rigidités de l’économie britannique et soutiens du Parti travailliste. Le gouvernement a adopté une approche progressive pour diminuer le pouvoir des syndicats en faisant adopter plusieurs lois. Il a par ailleurs utilisé la confrontation pour se défaire du syndicat des mineurs.Au total, l’organisation des relations professionnelles en Grande-Bretagne a été complètement transformée par les lois de 1980, 1982 et 1984: le système du closed shop a été soit supprimé, soit fortement limité par le vote à bulletin secret des salariés; le droit de grève a été limité, avec des restrictions sur les piquets de grève, l’interdiction des grèves de solidarité, une définition stricte du «conflit légal du travail» (des sanctions lourdes sont prévues pour les grèves illégales; toute grève est subordonnée à un vote); tout dirigeant syndical doit faire l’objet d’une élection au moins une fois tous les cinq ans. Si la législation antisyndicale a produit des effets, l’affaiblissement des syndicats a été davantage dû aux transformations structurelles de l’économie britannique, au déclin du secteur manufacturier, au développement des services, à la diminution des effectifs des grandes entreprises au profit des petites, à la féminisation des effectifs salariés, à l’introduction des nouvelles technologies et à la flexibilité du travail. Les effectifs syndiqués sont ainsi passés de 13,7 millions en 1980 à 8,7 millions en 1989 et à 7 millions en 1993.3. Les limites de l’économie postindustrielleL’économie britannique se caractérise par une très forte concentration, que ce soit dans l’industrie, la distribution ou le secteur financier. Aucun autre pays n’a autant œuvré, depuis la Seconde Guerre mondiale, pour la concentration de l’industrie et la disparition des petites et moyennes entreprises. Paradoxalement, au cours des années 1980, le gouvernement conservateur a fait l’apologie de l’entreprise et des entrepreneurs, mais sans soutenir les P.M.E., sans encourager leur organisation collective sur des bases territoriales ou professionnelles, ce qui a fait la fortune de l’Italie ou de l’Allemagne. La Grande-Bretagne est, avec l’Italie, le pays qui dépense le moins pour aider le développement des entreprises, notamment petites et moyennes. La création d’entreprises qui s’est développée au cours des années 1980 concerne essentiellement des entreprises individuelles, qui ont le plus souffert de la récession récente. Les difficultés rencontrées par les «poids lourds» de l’industrie britannique ont considérablement affaibli le pays de façon générale, sans qu’un tissu de petites et moyennes entreprises vienne prendre la relève. La concentration du secteur financier autour de la City a accru ce décalage entre les grands organismes financiers et les besoins de financement des entreprises britanniques. Sauf peut-être en Écosse, la modernisation des P.M.E. a été handicapée par ce phénomène et par la stratégie internationale de la City. Jusqu’aux années 1970, l’économie britannique reposait davantage sur le secteur manufacturier que celle des autres pays européens. Celui-ci s’est écroulé en une vingtaine d’années sous le poids de la concurrence internationale, qui a mis au jour les retards de l’industrie britannique, mais aussi du fait des choix effectués par le gouvernement Thatcher. La stratégie conservatrice a eu pour effet de réduire considérablement la taille de l’industrie britannique pour ne garder que des capacités de production moins importantes, mais compétitives à l’échelle internationale. La politique restrictive menée de 1979 à 1981, le maintien de la livre à des niveaux élevés puis le choix de l’augmentation des taux d’intérêt révèlent une politique économique qui a conduit à sacrifier une partie de l’industrie au profit du secteur tertiaire, et essentiellement au profit du développement de la City comme place financière internationale. Les fermetures d’entreprises et les réductions d’effectifs ont été massives au début des années 1980, et à nouveau au début des années 1990, notamment dans les secteurs traditionnels comme l’industrie automobile, l’acier, les charbonnages, la construction navale, le textile. Seules la chimie et les industries électriques ont fait preuve d’une bonne résistance au cours de la dernière décennie. Cette désindustrialisation accélérée a pour conséquence une réduction du poids du secteur manufacturier dans l’économie, qui est passé d’environ 30 à 20 p. 100 du P.I.B. au cours des années 1980 et dont les effectifs ont été réduits de plus d’un tiers (un peu plus de 4 millions contre 7 millions en 1979). L’internationalisation de l’économie devait permettre à la Grande-Bretagne d’être un pays d’accueil privilégié pour attirer les investissements internationaux. Ceux-ci ont permis, dans une certaine mesure, de reconstituer des secteurs industriels. Les investissements japonais constituent ainsi la nouvelle industrie automobile. Cependant, le fait marquant de la période est la place croissante prise par les investisseurs européens (Pays-Bas, France, Allemagne): en moins de dix ans, la part des pays de la C.E.E. est passée de 15 à presque 30 p. 100 des investissements étrangers directs en Grande-Bretagne, alors que la place des États-Unis s’est fortement réduite.Les investissements les plus importants ont été effectués, depuis le début des années 1980, dans la banque, les assurances, la finance et les services aux entreprises. Les points forts de l’économie britannique résident d’une part dans ces secteurs, d’autre part dans le dynamisme de certains conglomérats et firmes multinationales géants, notamment dans la chimie, la pharmacie et l’aérospatiale. Les Britanniques détiennent des positions très puissantes dans les domaines de l’ingénierie et du conseil, de la promotion immobilière, du bâtiment, de la publicité, de la communication. C’est là un des aspects de la tertiarisation de l’économie, le secteur tertiaire occupant 60 p. 100 de la population active. La multiplication des emplois à temps partiel ou à durée déterminée dans les secteurs du tourisme, de la restauration, du commerce constitue l’autre aspect de l’évolution de l’économie britannique. Plus qu’ailleurs en Europe de l’Ouest, la flexibilité absolue du marché de l’emploi et la multiplication d’emplois tertiaires bas de gamme ont été la règle. Cela explique le fait que les femmes soient moins au chômage que dans d’autres pays développés, car elles occupent en majorité ces emplois peu qualifiés, peu payés, et soit à temps partiel soit à durée déterminée (il n’y a pas de salaire minimum en Grande-Bretagne). À l’inverse, le chômage de longue durée est essentiellement le fait des hommes ouvriers, reflétant la marginalisation de ce qui était la classe ouvrière anglaise.L’essor de la City s’est trouvé au cœur de la politique économique du gouvernement Thatcher. Il devait permettre d’affirmer la puissance et le rayonnement international de la Grande-Bretagne et de sa monnaie, comme cela a été le cas depuis plusieurs siècles. La libéralisation du contrôle des changes, la politique de la monnaie forte, les privatisations, l’«explosion» des marchés financiers internationaux et la modernisation de la Bourse de Londres ont permis de renforcer la prééminence de la City, ce qui pouvait constituer le futur de l’économie britannique, pensait-on. La City a autorisé le développement d’un secteur tertiaire haut de gamme (des banques aux promoteurs immobiliers), elle a contribué à produire des richesses; la disponibilité de capitaux permettait de financer sans dommage le déficit de la balance des opérations courantes. Cette stratégie a réussi dans un premier temps, puisque Londres a réaffirmé sa prééminence, attirant les institutions financières du monde entier et les capitaux. Le big bang et l’euphorie financière des années 1980 ont entraîné un développement remarquable de la place de Londres, notamment sur les nouveaux marchés et produits financiers. Le secteur financier au sens large représentait en 1989, à la veille de la récession, 12 p. 100 des emplois et 20 p. 100 du P.N.B., contribuant à faire de Londres un des plus grands centres tertiaires du monde. Pourtant, cette réussite est maintenant très largement remise en cause. Tous les grands marchés financiers ont également modernisé leurs installations et accompli une dérégulation; l’avantage relatif de Londres est désormais bien moindre. Le krach boursier de 1987 puis la profonde récession de 1990 à 1992 ont provoqué une grave crise du secteur financier. La City a été marquée par de nombreuses faillites, des scandales, de fortes réductions de capacité, le retrait de banques, et elle souffre désormais du surinvestissement des années de spéculation. Si, sur certains marchés, Londres conserve la première place, elle a été dépassée par T 拏ky 拏 et rattrapée par New York en pourcentage des capitaux prêtés sur le marché international. La modernisation des Bourses européennes peut également menacer Londres pour certaines activités. Compte tenu de l’extraordinaire mobilité des capitaux, la situation de Londres comme centre financier international demeure fragile, d’autant que les capitaux les plus importants sont plutôt aux mains des Japonais et des Américains que des Britanniques. En outre, les difficultés structurelles de l’économie britannique ne contribuent pas à renforcer la capacité d’attraction de la City. La stratégie du «tout City» a, semble-t-il, atteint ses limites.4. Les handicaps de l’économie britanniqueLa reprise a beau paraître pointer en Grande-Bretagne, au début de 1993, alors que l’Europe occidentale s’enfonce dans la récession, la plupart des responsables économiques du pays ont perdu leurs illusions et plus personne ne croit au miracle britannique. Nombreux sont, en effet, les sujets de préoccupation pour l’avenir.La contrainte extérieureLa contrainte extérieure constitue le principal problème. Le secteur industriel a été caractérisé pendant les années 1980 par des investissements faibles, de fortes réductions de capacité, et il a dû supporter le poids d’un taux de change puis de taux d’intérêt élevés. Avant la seconde récession, en 1987 et 1988, la croissance des investissements restait limitée à 1 p. 100 par an. La Grande-Bretagne a perdu des parts de marché à l’échelle internationale. Sa base productive est fortement réduite, et la faiblesse des investissements au cours de la décennie passée risque de grever la croissance économique possible.Le solde de la balance commerciale s’est régulièrement détérioré au cours des années 1980. Équilibré en 1978, il devient négatif après la purge de 1979-1981 et ne fait qu’empirer depuis lors. Malgré l’augmentation des exportations pendant les années 1980, le boom de la consommation a conduit à une croissance encore plus rapide des importations. Cette détérioration a été masquée par le poids des invisibles, traditionnellement élevés en Grande-Bretagne, et par les ventes de pétrole; mais les deux sources se sont peu à peu taries et le déficit de la balance des opérations courantes, le plus important de tous les pays occidentaux, est apparu au grand jour à partir de 1988. Ce déficit s’est maintenu au début de la récession et il fluctuait entre 2 et 3 p. 100 du P.I.B., alors que la reprise n’avait pas encore eu lieu. Or celle-ci doit se traduire par une aggravation du déficit, la reprise de l’investissement et de la consommation correspondant à un accroissement des importations. Ce déficit constitue donc un obstacle majeur à la croissance économique britannique et pourrait condamner le pays à une croissance lente pour plusieurs années. La sortie de la livre du système monétaire européen (S.M.E.), en 1992, et la dévaluation de fait de 20 p. 100 représentent un essai de relance de l’économie (par l’abaissement des taux d’intérêt) et d’amélioration de la compétitivité prix des produits britanniques afin de regagner des parts de marché et de desserrer la contrainte extérieure. Si, toutefois, le problème de l’industrie est à la fois un problème de taille générale et de manque de spécialisation, alors les effets positifs de ces opérations ne peuvent être que minimes.L’inflationL’économie britannique souffre également de rigidités inflationnistes plus importantes que dans les autres pays occidentaux. Une partie de l’explication réside dans les insuffisances de l’appareil productif, mais la spécificité britannique tient à la progression très vive des salaires. Au cours des années 1980, les salaires nominaux de ceux qui ont gardé leur emploi ont progressé en moyenne de 8 p. 100 par an. Cette inflation des salaires était tolérable en période de croissance et d’augmentation de la productivité. Elle est devenue insupportable lors du ralentissement et a immédiatement provoqué un retour de l’inflation. Le retournement de conjoncture, à partir de 1988, a fait peser une forte pression sur la livre. Les tensions politiques sont apparues, car le chancelier Lawson souhaitait accrocher la livre au S.M.E., afin de juguler les tensions inflationnistes. Le refus politique du Premier ministre a provoqué la démission de Nigel Lawson, mais la Grande-Bretagne a dû se résoudre à rejoindre le S.M.E. et sa discipline en 1990, Margaret Thatcher étant contrainte à la démission quelques semaines plus tard. Pour maintenir la livre et juguler l’inflation, le gouvernement a utilisé l’outil des taux d’intérêt très élevés. Après les élections de 1992, et devant la persistance de la récession, le gouvernement a changé de stratégie et décidé de quitter le S.M.E. afin de relâcher les taux d’intérêt et de favoriser la reprise. Ce brutal revirement illustre les incertitudes et le désarroi des responsables britanniques. L’objectif de ramener la livre dans le S.M.E. est affiché, mais nul ne s’est engagé sur une date. À la suite de ce changement de cap, l’économie britannique semble, en 1993, sur le point de connaître une reprise qui se manifeste déjà par un taux d’inflation proche de 5 p. 100. Encore une fois, tensions inflationnistes et déficit de la balance des opérations courantes constituent deux obstacles structurels à toute croissance de l’économie.Les infrastructuresLa Grande-Bretagne a accumulé un retard considérable dans la modernisation de ses infrastructures, notamment en matière de transport. De façon générale, le secteur public a subi une cure d’amaigrissement, mais a souffert aussi d’un sous-investissement chronique au cours de la décennie passée. Ce retard accentue le décalage entre la Grande-Bretagne et ses voisins européens en matière d’infrastructures et de services publics (santé, éducation). La privatisation, par exemple, des compagnies de distribution d’eau devrait conduire progressivement à une modernisation et à des investissements.La formationLa population britannique connaît des taux d’éducation parmi les plus faibles d’Europe, de la petite enfance à l’Université. De surcroît, la formation continue reste sous-développée en Grande-Bretagne et n’a pas compensé le déclin de l’apprentissage. Créée dans les années 1960 et gérée de façon tripartite, la Manpower Service Commission n’a pas réussi à entraîner une mobilisation autour de l’effort de formation. La réforme de la formation continue dans les années 1980, avec la création des Training Enterprise Councils, et le sous-investissement n’ont pas permis à la Grande-Bretagne de rattraper son retard. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée pourrait constituer un obstacle important au développement de la productivité et à la croissance de l’économie britannique dans les années à venir.Les inégalitésLes inégalités se sont considérablement accentuées au cours des années 1980, plus que dans aucun autre pays européen. Les inégalités de revenus, de salaires ont été favorisées par la politique fiscale et par la réorganisation des entreprises aux dépens des employés et des ouvriers. Ces inégalités se sont marquées spatialement avec la division (exagérée mais réelle) entre le Nord industriel anglais et le Sud, où sont concentrés les services tertiaires. Les émeutes urbaines dans les grandes villes industrielles ont mis en évidence le déclin des inner cities et la marginalisation d’une partie de la population. La formation d’un groupe d’exclus permanents du marché du travail (an underclass ) est désormais à l’ordre du jour. La relation entre inégalités et développement économique est très discutée, mais la Grande-Bretagne devra faire face à de nombreuses difficultés du fait de l’exclusion croissante d’une partie de la population.La productivitéMalgré les progrès de la productivité enregistrés pendant les années 1980, un des acquis de la période, celle-ci demeure inférieure d’un tiers à celle de l’Allemagne ou de la France et de moitié à celle du Japon. Ces gains de productivité ont été acquis essentiellement par les réductions d’emplois et la suppression des capacités de production les moins rentables, c’est-à-dire essentiellement dans le secteur manufacturier. Compte tenu du retard en matière de recherche et de formation, la question de l’amélioration de la productivité britannique est ouverte. Si les réformes des années 1980 portent leurs fruits à long terme, les effets devraient se faire sentir au cours de l’actuelle décennie. Ce serait la véritable réussite de la politique économique des conservateurs. Si, à l’inverse, la Grande-Bretagne se révélait incapable de chasser ses vieux démons, alors la période Thatcher apparaîtrait comme celle de l’échec de la modernisation libérale et comme un gâchis considérable, puisque les revenus tirés du pétrole et des privatisations n’ont pas été utilisés pour investir dans l’éducation, la formation, la recherche ou les infrastructures. Le test de l’intégration européenne sera décisif pour l’économie britannique.
Encyclopédie Universelle. 2012.